Pour ceux qui aiment la haute montagne, ces 4 jours d’itinérance entre l’Alpe d’Huez et Nice, c’est un peu comme atteindre le Graal.
Quand je dis, pour ceux qui aiment la haute montagne, je suis loin de l’ascension de l’Everest, non, je suis un petit joueur, 2500m max.
Je veux parler de la vue, de ces montagnes qui sont comme de la dentelle sur un ciel bleu Azur sans l’ombre d’un nuage à l’horizon. C’est comme chez Aubade : leçon n°31, le laisser admirer le paysage.
Si je quitte un peu mon stade de poète et que je reviens à la réalité, je dois dire que là, sur ma moto, avec laquelle j’enquille l’A51 en direction de Briançon, je ne passe pas le contrôle technique.
La moto ? Elle aurait dû aller à la révision depuis au moins 6 mois, mais le temps m’a manqué. Le pneu arrière ? Il aurait fallu le changer, il est presque aussi lisse que le discours de n’importe quel homme politique, le pneu avant ne fait pas beaucoup mieux, les crampons ressemblent au dentier de mon grand-père dans le verre sur le bord du lavabo. Quoi ? La comparaison n’est pas bonne ? Cela prouve au moins que le grand père en question il lui reste des chicots qui fonctionnent.
Et moi dans tout cela ? Je rentre la veille au soir de l’ultra raid de la Meije, me suis tapé du VTT tout le week-end, j’ai les jambes raides, des bleus un peu partout suite à une rencontre avec un rocher, et surtout, surtout, j’ai le fondement qui m’envoie un électrochoc dès qu’il sent que je vais me poser sur la selle de la pétoire pour 05h00 de trajet. C’est la même sensation que quand tu manges trop épicé mais de l’autre côté du tuyau, tu sais que ça va piquer, mais tu ne sais pas combien.
Direction Lanslebourg pour la nuit, via le tunnel de Fréjus.
Il y a d’autres itinéraires ? Oui il y en a, des moins chers, des plus loin, mais j’ai besoin d’air et de montagne. En plus, de nos jours, quand tu vas en Italie je me dis qu’il vaut mieux emprunter les tunnels que les ponts.
Ma moitié ? Affirmatif. Harnachée, no comment.
Motivée ? Affirmatif. Assise derrière, no comment.
Ho que oui, elle est avec moi, elle me regarde monter sur ma moto tel un pensionné COTOREP et se demande où j’ai mis ma canne.
Fin d’après-midi à Lanslebourg, arrêt au relais des 2 cols pour la nuit avant d’attaquer le gros du chantier demain.
En fait, le gros du chantier ça démarre au repas du soir. En rentrant dans le resto, je me demande si je suis dans un EPHAD. On vient de faire chuter la moyenne d’âge d’un coup de 20 ans. C’est sûr, si cette nuit on entend grincer, c’est un déambulateur qui se déplace pour soulager une prostate, et ce n’est pas ce soir que l’on va entendre la 4ème symphonie de trombone qui coulisse et grosse caisse.
Le lendemain matin, on met quand même un point d’honneur à attaquer le petit-déj en pole position comme à notre habitude.
Je commence à dérouler mon road book en traversant la rivière, mise à zéro, il fait beau, on grimpe jusqu’au lac de Mont Cenis
avant de traverser la frontière et passer côté Italien par une jolie petite piste. On se prendrait presque pour des contrebandiers. Mais de mauvais contrebandiers, car comme on dit dans le jargon, je jardine, un peu, et m’emmêle les cannes entre le kilométrage partiel et total ce qui me vaut de sortir pile en face ou presque de l’ancien poste de Douane presque recalé avec mes compteurs.
On sait tout de suite que l’on est en Italie. Rien de plus simple. Regarde le gus qui arrive dans la voiture d’en face. Il téléphone en conduisant ? Tu peux être alors : en Italie, en Grèce, en Turquie, au Maroc même. Si le gonze en question roule dans une FIAT panda 4x4, alors là, plus de doute possible, ça parle rital et avec les mains. D’ailleurs je ne m’étais jamais posé la question : Comment fait un Italien pour conduire, téléphoner, parler avec les mains et passer les vitesses ?
Au programme de l’après-midi, on va s’enfiler avec mon amoureuse un gros morceau.
Un truc de dingue, la piste de l’Assietta, une piste en balcon à 2500m d’altitude. Un panorama qui te coupe le souffle et les jambes, 30 bornes de pur bonheur.
Je sens ma moitié derrière qui fond, elle est en transe à cette altitude, je pourrais la laisser ici à l’année, elle finirait par se transformer en marmotte.
Quelle fille ne rêve pas de se réincarner en marmotte ? Aucune.
Imagine le trip, tu dors 6 mois de l’année et tu te réveilles maigre, belle en maillot pour l’été, les 6 mois qui restent tu bouffes du gras pour passer l’hiver d’après, il fait beau, tu bronzes et en prime tu gardes tous tes poils, je vous le dis, le rêve de toutes les filles.
C’est pas le kif ça ?
Nous pour ce soir, ce sera Sestrières. Sestrières pour moi cela évoquait une station comme Courchevel, Saint Moritz, Gstaad, un truc de luxe, des bagnoles, des poules de luxe, de la fourrure, des talons, où l’on se bat sur 3 générations pour acheter un studio de
4 m ².
Ben non, c’est mort, pas un troquet d’ouvert, personne, rien, le désert. C’est si terrible que l’on se colle à l’hôtel Lago Lasetta. Ancien établissement construit pour les jeux paralympiques de Turin, les portes sont larges, le plumard king size, on pourrait laver la pétoire dans la salle d’eau, la vue sur la montagne nickel et puis pour un pensionné COTOREP comme moi en ce moment, ça va bien et cet hôtel est au poil pour ce soir.
On s’est tapé 240 bornes dans la journée, posés à 17h00, revenu de la recherche d’un saloon ouvert à 18h00, brecouilles.
A 19h00 il y a un con qui a éteint la lumière et qui verse des seaux d’eau. C’est Intervilles, sur le stade en face de la piaule, ça court pour se mettre à l’abri, Guy ramasse le chien et la poussette, Simone quitte l’émission en vélo électrique.
A mon avis, vu ce qu’il tombe, si elle ne se prend pas un châtaigne dans le baigneur d’ici qu’elle soit chez elle, on a du bol.
Et le lendemain ? Ecoute, j’ai envie de dire que tout baigne. Le soleil éclaire doucement la montagne en face et pour nous ce soir c’est Sampeyre.
Alors c’est sans peur et sans reproche que l’on quitte Sestrières pour d’abord une boucle qui nous ramènera à Sestrières, à croire que le fournisseur du road book a des parts dans une agence immobilière du coin. Mais ce tracé en rond est une pépite qui nous ramène du côté de Colle Bercia.
Et là je dois dire que c’est du grand art. On enquille la montée qui n’est rien d’autre que la piste bleue. A contre sens, pour atteindre le bar de Colle Bercia. La piste bleue, puis la rouge, pour monter jusqu’à la télécabine.
Soyons clairs, si quand j’étais petit j’avais connu ce coin, c’est ce que j’aurais annoncé à mes parents comme profession pour plus tard: patron du bar de Colle Bercia.
Ma femme est en transe, hystérique, comme une future mariée devant un troupeau de Chippendales, sauf que cela fait quasi 20 ans que l’on est mariés et que pour l’émouvoir il en faut un peu plus. Enfin aussi que, sa spécialité, c’est de couper des couilles en 4 pour les regarder au microscope, alors je te le dis : pour qu’elle soit émue,
vas-y.
Médecin ? Affirmatif. Dominatrice ? No comment.
Enfin, pour ceux qui sont en train de fantasmer, je replace le contexte : Mère de 4 enfants et avec un mari à mi-temps à la maison, dominatrice tu l’es forcément, si tu veux survivre.
On repasse donc par Sestrières pour un gros morceau de route qui nous ramène vers Sampeyre.
Quand je dis gros morceau de route, je conseille fortement de prendre un mercalm avant d’attaquer la dernière piste.
Parce que de l’épingle il y a en des tas. Des épingles à nourrice, des épingles à linge, des épingles de sureté, des épingles à cheveux. Je me rassure comme je peux en me disant que c’est bon pour mes pneus. Usés sur la bande de roulement, je suis en train de les finir sur les bordures, en bon Bougnat que je suis il n’y a pas de petites économies.
« Ça pue la fin de journée par la route ce truc » Suis-je en train de me faire comme réflexion que la case suivante me glisse à l’oreille : Maintenant que tu es bien barbouillé de virolos à gogo, on va tasser le tout pour faire de la place pour ce soir.
Et alors là, on attaque un bout de piste de 15 km que je vais sentir passer.
Le début est sympa, petit chemin de montagne rempli de verdure avec quelques flaques pour me réfrigérer les arpions, la suite est plus taillée pour le bucheron que je suis que pour un danseur étoile.
Les cailloux du petit poucet se transforment en pavasse, en parpaing, en moellon, appelez ça comme vous voulez, mais j’ai l’avant de la moto qui monte et descend comme un marteau pilon.
J’entends ma moitié derrière qui couine un peu, pour la rassurer je lui annonce que la séance de power plate est gratuite, mais elle apprécie moyen la plaisanterie.
On est en plein rodéo amoureux, je ne sais plus si c’est avec mon amoureuse ou avec ma pétrolette, mais toujours est-il que comme tout bon Français qui se doit, avec 2 donzelles de cette carrure, il me faut tenir la distance. N’est pas bucheron sexuel qui veut mesdames. La seule solution pour s’en sortir : les essorer. Ce qui signifie qu’avec la première j’essore la poignée des gaz et je cramponne le guidon copieux.
Avec la seconde, je verrai pour l’essorage plus tard et je mise tout sur le fait que quand elle descendra de la pétoire en arrivant elle se sera essorée d’elle-même.
Je dois dire, que je suis moi-même en mode lavage, la sueur coule depuis mon dos jusque dans le fin fond de mes bottes en passant par mon caleçon.
Les filles, c’est à cause de ce phénomène que les hommes ne changent pas de slip tous les jours, ils ont une machine qui lave et sèche sur place et comme disait un vieux bosco Breton en plein mois d’août sous les tropiques : « j’ai la raie du cul qui se transforme en gouttière ». La métaphore dans toute sa splendeur, la classe.
Au bout de 10 km parcourus, en bien 40 minutes, on débouche sur la route aux 150 lacets, rien que ça et on termine à Sampeyre à l’hôtel Hautes Alpes.
Cet hôtel il est bien, ce doit être le grand père alias le Nono en Italien qui nous reçoit, et grand seigneur, il nous donne sa plus belle suite et nous parque la moto dans son garage.
La déco ? Rococo à souhait, je me croirais chez ma grand-mère, j’ai peur de faire des cauchemars avec les tableaux de points de croix au mur. Il y a quand même 2 choses qui m’interpellent, enfin pas que moi.
Moi je note la faible isolation acoustique de la piaule, si ce soir avec maman on rejoue la célèbre pièce de théâtre : « Quand ça démange il faut gratter », j’ai peur que les 3 coups d’ouverture réveillent les reste des locataires.
Ma moitié note autre chose : la propreté de la piaule, rien, pas une poussière, pas un cheveu qui se serait égaré. Elle en était tellement éberluée que j’ai eu droit à une scène, en direct, de bienvenu à l’hôtel, cherchant comme toute femme qui chasse, prête à se mettre à l’arrêt devant le premier grain de poussière pour finalement mettre un 18/20, car il faut la jouer tactique avec les autres concurrents.
Le repas ? Une tuerie. Je vous raconte ? Non, il faut aller voir, mais aller là-bas à l’époque des champignons, c’était un bon choix. Je n’ai pas dormi avec le gros ventre, j’ai dormi dilaté.
Le programme de la journée de demain est magistral avec 2 pistes magiques, celle de Sampeyre et de la Gardetta.
On quitte Sampeyre sans se préoccuper du casse-croûte de midi, c’est ça aussi les vacances, arrêter de calculer et se laisser porter.
D’ailleurs question portage, cette piste de Sampeyre est toujours aussi jolie, elle me porte au 7ème ciel, je suis bien, je ne peux pas rêver mieux que d’être là avec elle, elle ronronne à 2100m au milieu des vaches alors qu’en bord de mer elle broute.
Qui a cru que je parlais de ma pétoire ?
On file à travers un sous-bois improbable mal pavé avant de remonter vers la piste de la Gardetta.
Nous n’en revenons pas du nombre de chalets à vendre, perdus, de ce côté de la frontière, il doit y avoir quelque chose de louche pour que toutes ces merveilles de tranquillité affichent une pancarte vendesi. La mafia serait-elle en train de se débarrasser de ses planques ?
En attendant, il nous faut trouver de quoi nous ravitailler et c’est du côté de Stroppo que l’on va le faire, dans une épicerie comme je les aime, un bric à brac sans nom où il y a tout et même le reste. Il y a même 2 patronnes, c’est pour dire.
Ho, je ne me voile pas la face sur le fait qu’il y ait 2 patronnes, surtout pas, quand tu habites à Marseille dans les quartiers nord, l’expression « ne pas se voiler la face » prend un sens particulier, ne pas faire d’amalgame, jamais.
On s’en fout, ce midi on va s’offrir un épisode de National Geographic grandeur nature.
Pique-nique au milieu des marmottes. En repensant à ce pique-nique-là, me vient un sourire et mes yeux se mouillent, un peu façon Nicolas Hulot dans une séquence émotion de Ushuaia il n’y a pas si longtemps. Mais comme lui, elle est là, juste à côté, toujours, c’est ça que c’est bon.
On finit la journée en traversant une carrière de marbre pour atterrir à Vernante.
Vernante tout le monde connaît. Mais si, vous connaissez fatalement, car tout le monde un jour vous a dit que votre nez allait s’allonger si vous mentez. On pose notre barda à l’Albergo Nationale, endroit juste magique, avant d’aller déambuler dans les rues pour mater chez les gens.
Voyeur ? Affirmatif. Dérangé ? No comment.
On est forcément voyeur à Vernante, car les habitants peignent sur leurs murs des fresques de Pinocchio et vont jusqu’à le mettre en scène dans leur jardin avec des statues façon Pinicchio de jardin cousin des célèbres nains. Alors oui, on se hisse sur la pointe des pieds pour mater de l’autre côté du grillage et tant pis si mamie est en train d’étendre des slips kangourou et si papy parle à ses salades, ils sont habitués.
Il nous reste, ce matin, la dernière de notre périple et pas des moindres et elle porte un nom qui chante : Marguareis.
Elle est tellement célèbre que l’on paie pour la voir, une star quoi.
On l’attaque côté Italien, à Limone, pour finir à Breil sur Royat au-dessus de Nice, les passages sont comptés, 80 par jour pas plus, le prix à payer pour qu’elle reste ouverte. Une piste, mais de luxe.
Moi qui viens de passer 3 jours sans voir un motard, autrement que sur la route, là, je tombe derrière un groupe de Ritaux en ballade.
Et c’est le bouchon, ils n’avancent pas les bougres, je n’ai pas la prétention de dire que l’on a une moyenne à faire, mais j’ai dit que pour le gouter, je serai attablé chez Fenocchio pour une petite glace.
Derrière ma moitié ferme les yeux, on roule à cheval sur une piste avec le vide à droite et le vide à gauche, je dois avouer que même pour moi qui regarde droit devant j’ai cette sensation bizarre de vertige. Mon séant m’abandonne. Contre cette sensation, une seule solution l’attaque.
Alors, je vais me remonter mon peloton de Ritaux jusqu’au col des Seigneurs. Là, j’applique une technique bien connue de Benjamin, mon copain à moi : Arrête-toi sur le bord, mets la béquille, pisse un coup, sors ta carte et nonchalamment, attends les retardataires en regardant la carte.
Forcément ça énerve, et là, crac, tu repars juste derrière eux, non pas pour les énerver, mais juste pour « leur mettre la pression ».
Normalement c’est une bonne technique pour se tirer la bourre, mais là rien, au col des Seigneurs ils s’arrêtent et me demandent :
« Tou é oune professional ? »
Ben non les gars, aller en selle, on remonte, hop, hop, hop, je vous redouble et comme ça on se tire une bourre !
Mais rien, nienté, ils immortalisent leurs motos au col des Seigneurs sous toutes les coutures. Alors j’admire le paysage, et sérieux je ne m’en lasse pas.
Je décide d’un commun accord avec moi-même de rejoindre Breil sur Roya par une variante… La note sur la case du roadbook dit : plus jolie, mais elle ne dit en rien qu’elle est constituée de marches.
C’est marrant, j’ai l’impression de faire de la grosse caisse tellement le sabot tape sur les cailloux.
La caisse à out’s dessous, planquée derrière la roue avant, elle, ne rigole pas, elle se tord de douleur, mais ne craque pas, je pense que je vais pouvoir lui mettre une compresse ou 2 de Synthol à l’arrivée.
Je n’ai pas le temps d’attendre, sinon la glace va fondre. On est à midi à Breil sur Roya, et comme dans tout bon film, THE END se profile.
16h00, je suis attablé chez Fenocchio et c’est à ce moment que j’ai compris que la réalité me rattrapait.
Hier encore, je me foutais de l’heure qu’il était à l’épicerie des 2 patronnes, et là, il fallait que je sois à 16h00 chez Fenocchio impératif.
Fenocchio est un artiste, givré, mais un artiste. Si vous allez à Nice, ne ratez pas ça.
La foule compacte du vieux Nice m’oppresse. Je n’aime pas le touriste de masse, ni moi, ni elle d’ailleurs. Je repense doucement à ce métier de rêve à Colle Bercia, et sur ma moto, de retour à la maison, je me dis que plus tard quand on ne sera plus que tous les 2 ce serait bien comme préretraite.